Chacun a droit d’utiliser son nom de famille dans la vie des affaires et le faire enregistrer, que ce soit à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial ou d’enseigne.
Cependant, comme pour tous les signes, il est susceptible d’entrer en conflit avec les droits des titulaires de marques antérieures.
La réforme du droit des marques de décembre 2019 a fait évoluer le droit sur ce point. Dans quels cas et quel cadre peut-on utiliser son nom de famille dans la vie des affaires ?
1/ En l’absence d’antériorité :
Une personne qui utilise son nom de famille à titre de marque sans que n'existe aucune antériorité obtient des droits exclusifs sur ce signe.
→ Monsieur Poilâne avait en son temps créé la société « Poilâne » et déposé en 1974 la marque « Poilâne » pour viser des produits de la boulangerie/viennoiserie : la dénomination étant disponible, rien ne s’y opposait.
→ Il faut toutefois être prudent lorsque l’on fait du commerce sous une marque à son nom, car en cas de cession de la marque, généralement avec la société éponyme, la personne physique risque d’être privée de l’usage dans la vie des affaires de son nom sans pouvoir empêcher le cessionnaire de poursuivre l’usage du nom de famille, bien que la personne physique ne fasse plus partie de la société (cas d’espèce Ines de la Fressange).
Cela se complique si le nom de famille que vous portez et souhaitez utiliser est déjà utilisé dans la vie des affaires et déposé à titre de marque.
2/ En cas d’antériorités
Quelques illustrations :
Ex 1 → Reprenons le cas « Poilâne », dans les circonstances de l’existence de la marque antérieure « Poilâne » précitée, voici Julien Poilâne qui souhaite utiliser son nom de famille et dépose la marque « Max Poilâne » pour viser des articles de pains, boulangerie, etc.
Ex2 → Monsieur Tigresse crée la société « Brasserie Tigresse » en ignorant qu’il existe une marque « Bière la Tigresse » déposée par une autre Brasserie. Or, la confusion des fournisseurs ou clients est réelle et le titulaire de la marque antérieure « Bière la Tigresse » s’en plaint auprès du dirigeant de la société Brasserie Tigresse lequel, arc-bouté sur la volonté d’utiliser son nom patronymique, dépose la marque « Brasserie Tigresse », en fraude des droits antérieurs…
L’évolution du droit sur la coexistence d’une marque et l’usage d’un nom éponyme : la législation a changé dans un sens restrictif.
Avant la réforme par Ordonnance du 13 novembre 2019, le droit français énonçait que « l’enregistrement d’une marque ne faisait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme a) dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi », ce qui autorisait malgré l’existence d’une marque antérieure à utiliser son nom de famille non pas à titre de marque, mais de dénomination sociale, enseigne, etc. et à condition d’être de bonne foi.
Mais qu’est-ce que la « bonne foi » ? Pour sûr, il ne suffit pas d’arguer de son ignorance de l’existence de la marque et son absence d’intention de nuire, car la loyauté dans la vie des affaires suppose d’être raisonnablement diligent et de vérifier que le nom patronymique retenu n’entre pas en conflit avec un signe antérieur… Il fallait donc avoir vérifié les antériorités et soit que l’usage du nom éponyme ne porte pas sur la même spécialité ou que le titulaire de la marque ait donné son assentiment. (cf droit des marques, recherches d'antériorités)
Sur ce point, dans l’affaire Poilâne, la Cour de Cassation*, examinant un arrêt de Cour antérieur à la réforme, a validé les critères de loyauté examinés par les juges du fond, relevant que « J. Poilâne est l’actionnaire majoritaire et le président de cette société » et « exerce réellement des fonctions de contrôle et de direction au sein de la société » de sorte qu’il n’est pas permis de penser qu’il agisse comme « prête nom ». Ce faisant, elle exclut la fraude et constate la bonne foi dans l’usage de cette exception d’homonymie. Toutefois, elle a retenu le risque de confusion, constatant la similitude des produits et des signes en cause et dit que l’usage de la dénomination « Julien Poilâne » à titre de dénomination portait atteinte à la marque « Poilâne ».
La rédaction de la loi française dans sa version antérieure autorisant l’usage du nom à titre de dénomination sociale ou enseigne, était conforme à l’interprétation extensive qu’avait faite du droit européen la Cour de Justice de l’Union Européenne, mais le texte de la directive européenne n’autorisait pas expressément l’usage à titre de nom de société ou d’enseigne d’un nom de famille déjà déposé comme marque. Elle prévoyait juste que le titulaire d’une marque ne puisse pas interdire à un tiers l’usage de son nom "dans la vie des affaires" sous condition que l’usage soit conforme à un « usage honnête en matière industrielle ».
En revoyant les textes sur les marques, le législateur européen a voulu écarter la possibilité pour les personnes morales de bénéficier de cette exception et a ajouté « lorsque ce tiers est une personne physique ».
Dès lors, le droit français revu en conformité avec le droit de l’Union précise bien les deux conditions d’usage dans la vie des affaires par une personne physique et sous condition de loyauté.
Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une exception et non d’un droit absolu d’user de son patronyme : les personnes physiques ne peuvent tirer de leur nom patronymique un droit de déposer une marque ou de dénommer une personne morale…
Reste à savoir ce que peut recouvrer cette exception d’homonymie et quels usages dans la vie des affaires peut en faire une personne physique : alors que l’énoncé du texte antérieur avait le mérite d’être clair, la nature des usages autorisés par la personne physique est désormais bien incertaine. Cela comprend-il seulement les personnes utilisant leur nom dans le cadre d’une activité individuelle ? Mais alors ne serait-ce pas une rupture d’égalité par rapport au cas d’une activité structurée en société ?
*Cassation, com, 17 mars 2021 n°18-26.388